• Méfions nous de notre mémoire épisodique et de nos souvenirs : ils ne sont pas fiables

         J’ai fait plusieurs articles sur la mémoire et j’ai dit à plusieurs reprises que beaucoup de souvenirs tombaient dans l’oubli, parce que nous ne les évoquions pas souvent et que par ailleurs, même ceux qui restaient en mémoire, d’une part étaient incomplets à l’origine, mais ensuite se transformaient peu à peu.
        Ces que j'ai faits en février dernier ont choqué n de mes jeunes correspondants qui a une trentaine d’années, ne veut pas me croire et me dit, par exemple, qu’il se souvient parfaitement de tous les détails de son mariage et de la réception qui a suivi.
        Je veux bien le croire pour ce souvenir particulier, car les souvenirs « chargés d’émotions » se conservent mieux et qu’il doit l’évoquer souvent avec sa femme ou des amis, ce qui le conserve et le renforce, mais risque d'y apporter de petits changements..
        Mais se souvient il vraiment des noms et prénoms de toutes les personnes qui y assistaient, du menu du repas, des fleurs qui ornaient la cérémonie, des vêtements que portaient tel ou tel copain ? J’en doute fort.
        Les études de psychologues montrent que tous nos souvenirs peuvent être corrompus et déformés, même ceux qui nous sont les plus chers. Les grandes lignes restent exactes, mais les détails disparaissent ou s'enrichissent d'aspects inexacts ou suggérés par des photos et récits de parents ou d'amis.

        Certes les événements qui touchent à nos sentiments ou ceux traumatisants s’impriment mieux dans notre mémoire et nous avons moins tendance à les oublier, mais nous n’enregistrons pas toutes nos sensations dans le détail et notre mémoire peut les transformer, car elle les « ré-enregistre » chaque fois que nous les évoquons et les modifie donc avec des détails en moins mais aussi éventuellement des détails en plus.
        Ainsi je suis persuadé d’avoir des images en mémoire des lieux ou j’habitais quand j’avais 5 ans, mais je me suis rendu compte que la plupart de ces images provenaient de photos prises par mes parents. De même pour certains des petites aventures de gosse qui me sont arrivées quand j’avais 7 ans, je constate que mes souvenirs sont fait de certaines images personnelles, mais aussi de récits de mes parents ou grands-parents, que je pensais appartenir à mes propres souvenirs.
        Nous pouvons même nous rappeler avoir fait (et y croire), des choses inventées de toutes pièces par notre imagination.
        Ce n’est pas très grave tant que cela ne concerne que notre propre vie, mais supposez que vous soyez témoin d’un crime, vos souvenirs sont ils fiables, et une erreur pourrait être grave pour une personne accusée en raison de votre témoignage.
        Lorsque peu de temps après les événements, vous tenterez de vous en souvenir dans les moindres détails, vous ferez sans doute des erreurs sur plusieurs points importants, et ces erreurs seront certainement plus nombreuses d’ici quelques jours, quelques mois, quelques années. Au fur et à mesure que nos souvenirs s'estompent, nous nous trompons de plus en plus - tout en étant certains d'avoir raison et que notre mémoire est infaillible.

        Mais notre mémoire peut même être manipulée. Certaines personnes peuvent nous persuader que nous avons vécu des choses qui ne nous sont pas arrivées personnellement, ou qui même n’ont pas existé.
        Les enquêtes sur certaines erreurs judiciaires ont montré que l’on peut même arriver à persuader (involontairement ou non), une personne qu’elle a commis un crime, dont elle va s’accuser.
        Les policiers, persuadés à tort de sa culpabilité, ont harcelé le suspect jusqu'à ce qu’il leur dise ce qu'ils désiraient entendre. Comme le suspect ne leur donnait aucun détail, (sur ce qu’il n’avait pas fait !) ils ont décidé d'inverser Ia situation et de lui en suggérer dans des questions, et ils finissent par tellement fatiguer leur interlocuteur par leurs questions et leurs accusations, avant de lui suggérer de fausses informations, que la personne finit par douter d’elle même et par admettre par lassitude, ce comportement criminel.
        L’innocent doute de lui même, finit par admettre sa culpabilité et son imagination reprend les informations des policiers et comble les détails manquants.
        C’est évidemment d’autant plus facile que la personne a déjà du mal à se souvenir, par exemple parce qu’elle était ivre ou droguée.
        Les témoins et les victimes sont autant susceptibles que les suspect, de mal se souvenir de certains événements. Des études ont montré que 70% des personnes condamnées injustement et innocentées ensuite par leur ADN, ont été condamnées en raison d,une erreur d’identification par la victime ou par un témoin.

        J’ai déjà cité dans d’autres articles, des erreurs qu’on faites involontairement des thérapeutes qui avaient psychanalysé et implanté, sans le vouloir de faux souvenirs dans la mémoire de leur patient. Ayant fait une hypothèse sur la maladie de leur client, et sur les raisons de leurs problèmes psychologiques, à force de leur poser des questions, certaines étant presque des suggestions, et de leur demander d’imaginer des scènes qui auraient dû provenir de leur mémoire, ces thérapeutes avaient fini par faire accepter leurs idées à leurs patients. Ceux ci avaient fini par vraiment se persuader d’avoir subi les traumatismes supposés et leur état psychologique s’en était forcément aggravé.
        De nombreuses études de psychologie sont faites pour tester ainsi notre mémoire, et elles ont toutes révélé que celle-ci n’était pas parfaitement fiable, et que d’autre part on pouvait volontairement implanter de faux souvenirs chez des personnes « cobayes » de ces expérimentations.

        Notre mémoire est un outil très important, c’est la moitié de notre intelligence, car c’est sur elle que repose la plupart de nos réflexions. C’est elle qui fournit aussi à notre imagination, des éléments crédibles pour construire l’avenir, l’irréel, ou l’invention.
        Mais lorsque nous lui demandons un  témoignage, il faut nous méfier d’elle et cela d’autant plus que nous vieillissons et que le souvenir est lointain.
        Elle peut alors mélanger les événements réellement passée à d’autres que nous avons engrangés à d’autres circonstances (images, récits) ou même que nous avons imaginés de toutes pièces.
        Et nous croyons mordicus, que ce souvenir bâtard est réel et véridique !

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  • Nos sensations et les mots se mélangent dans notre mémoire.

              A la suite des articles que j’ai faits mi-février sur la mémoire, pour répondre à la demande d’une correspondante, j’ai reçu d’autre mails qui me posent plusieurs questions et je vais essayer de regrouper les réponses dans deux articles.

              Vous aviez été intrigués parce que j’avais dit, à propos de chat GPT, qu’il ne comprenait pas la signification des mots qu’il utilisait, car il n’avait auxune sensation et les mots sont issus des sensations. Je voudrais compléter cet article par un aperçu de l’organisation de la mémoire des mots.

              De grands progrès ont été faits depuis 10 ans dans la connaissance de la mémoire et notamment plusieurs articles de la revue « Nature » faisaient le point sur l’implantation relative des images et plus généralement des perceptions et des mots.
              Ces progrès ont été d’abord ceux de l’IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) pour étudier le système visuel humain. L’IRMf permet de mesurer des variations du flux sanguin et de l’activité électrique dans le cerveau, et on l’utilise souvent pour déterminer les régions du cortex rйagissant à différents stimuli.
              On arrive à segmenter les données en enregistrements pour des volumes de tissu cérébral minuscules, de la taille d’un pois et appelés « voxels » (un voxel étant l’équivalent d’un pixel, mais en trois dimensions).
             Les chercheurs ont ainsi fait une carte des activités des centres d’interprétation des signaux visuels et notamment des zones  (le « Quoi » dont j’ai déjà parlé), où sont stockés les images de centaines d’objet et des lieux qu’elles représentent ( le « Où »).

             D’autres chercheurs (notamment Jack Gallant et Alexandre Huht), ont appliqué les mêmes méthodes aux centres sémantiques qui stockent les mots (le centre de Geschwind dont j’ai déjà parlé).
             Ils ont confirmé que les neurones associés aux mots qui représentaient les mêmes types d’objets (par exemple les outils, les animaux, les ustensiles de cuisine….) étaient voisins et regroupés par petits centres.
             Comme certains patients volontaires étaient communs à ces études, ils ont pu comparer les deux cartes visuelle et sémantique et ils ont trouvé que les images et les mots qui représentaient une catégorie d’objets, étaient voisines, mais avec un léger décalage dans l’espace.
              Les zones sémantiques formaient une sorte de ruban autour des zones visuelles du « Quoi » et du « Où ». Le partie voisine des centres d’interprétation de la vue répondait exclusivement aux images, puis venait une zone où les images et les mots étaient représentés, jusqu’à ce que, à la frontière de la région, seuls les mots provoquent une activité corticale. Une étude statistique a montré que le passage se faisait progressivement et que l’on pouvait calculer un gradient de passage des images aux mots. (cf. figure ci-dessous).
              Ce schéma d’organisation a été retrouvé chez tous les patients objets des études.

    Nos sensations et les mots se mélangent dans notre mémoire.

              Dans tout cerveau, il existe donc une frontière mêlant les représentations visuelles et sémantiques de chaque objet, lieu, concept, entre deux zones où sont représentées d’un coté les images (près des centres d’interprétation visuelle) et d’autre part les mots (de l’autre coté de la frontière).

             Ce n’est pas tellement étonnant car, comme je l’vais écrit dans l’article concernant ChatGPT, les mots sont acquis par l’enfant à partir de sensations de nos cinq sens, notamment des images de la vision. Et même les concepts abstraits dérivent de représentations s’appuyant sur des sensations concrètes.
             La partie sémantique du cerveau se construit donc progressivement à partir des parties représentant les sensations.

            En 2013, Christopher Baldassano, neuroscientifique de l’université de Columbia, a découvert que si la zone des images était liée aux centres d’interprétation visuelle, la zone sémantique était surtout liée aux réseaux de la mémoire.
             Il semblerait donc que perception et mémoire soient aussi profondément enchevêtrées.
             Nous avons souvent l’impression d’avoir des représentations visuelles des choses, des événements vécus, mais nous savons aussi que, lorsque nous imaginons quelque chose ou que nous nous en souvenons, c’est différent de ce que nous voyons et de ce que nous avons vu réellement.
              Ce que nous voyons dans notre esprit serait une réinterprétation d’une scène ou d’un objet dont nous nous souvenons, reposant sur son contenu sémantique, plutôt qu’une reproduction exacte de la chose.
             Pour vérifier ces hypothèses, les chercheurs travaillent maintenant avec des personnes qui semblent incapables de faire apparaître des images mentales, un déficit neurologique rare.

             Nos souvenirs se sémantiseraient donc tout au cours de notre vie.
             Effectivement nos souvenirs récents sont épisodiques c’est à dire datés dans le temps. Au fur et à mesure qu’on s’en éloigne, ce datage disparait et on ne se souvient alors que d’un schéma général, avec quelques éléments vivaces correspondant en général à des moments émotionnels.

              La mémoire serait organisée à partir des souvenirs des sens, passage au sémantique et la mémoire épisodique (les souvenirs) se nourissant ensuite des souvenirs sémantiques.
              Mais de plus intervient la mémoire collective des événements partagés avec d’autres individus, qui peut modifier nos souvenirs en mélangeant des situations qui nous ont frappés surtout émotionnellement.
               Interviennent aussi nos lectures qui ajoutent des souvenirs sémantiques, sans image réelle, mais éventuellement avec des images intérieures imaginées, et les souvenirs peuvent assembler souvenirs réels et ceux de lectures.

             Cette organisation nous permet aussi de comprendre pourquoi on n'a aucun souvenir de notre vie avant trois ans (pas encore un langage sémantique suffisant) ou même avant une dizaine d'années, (passage au sémantique encore faible) et que ces souvenirs sont souvent reconstitués : photos, récits de la famille, mélange de souvenirs de dates différentes, disparition ou reconstruction différent des détails....

             Demain j’essaierai de répondre aux questions posées sur la mémoire et les comportements de personnes ayant subi de grands chocs traumatiques, tels les militaires qui sont passés près de la mort, en opérations, ou les témoins des attentats, comme ceux des tours américaines ou du Bataclan.

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  •  

    Déjà-vu, oui, mais où et quand ?

                   Cela m’agace. Je deviens vieux (je vais bientôt avoir 92 ans!) et je n’ai plus ma mémoire d'autrefois.
                 Alors j’ai souvent un trou quand j’écris, le « mot sur la langue », oui mais il met 30 secondes à me revenir à l’esprit.
                Je croise aussi des personnes et je ne me rappelle plus leur nom, ou l’on me cite M. Untel et je ne me souviens plus de son visage, comme diraient mes petits enfants, « de la tête qu’il avait ».
              Un autre défaut de mon cerveau, la sensation de « déjà vu ».
              j’ai déjà vu cette personne, mais où et qui est ce ? J’ai déjà vu ce chien qu’on promène en laisse (mais pas son maître ! ) J’ai déjà lu cela, mais dans quelle revue ? J’ai déjà vécu cet instant là, mais quand
             C’est agaçant. Mais bien sûr, je ne crois pas aux vies antérieures, surtout dans la peau d’un chien qu’on promène.

              Alors j'ai cherché des explications dans la littérature sur le cerveau.
              Les scientifiques ont essayé de recréer le déjà-vu en laboratoire.
              Ils ont implantés de faux souvenirs dans le cerveau de patients sous hypnose (par exemple un objet), et ont ordonné à certains d’entre eux de l’oublier et à d’autres de se le rappeler.
              Chez ces derniers, une fois réveillés, la vue de l’objet du souvenir s’accompagnait d’un sentiment de déjà-vu. Ils avaient vu cet objet mais ils ne pouvaient pas dire ni où, ni avec qui, ni quand exactement.
             D’autres chercheurs ont essayé de provoquer une impression de déjà-vu en utilisant la réalité virtuelle, en utilisant un jeu où l’on se déplaçait en divers endroits.
             Les essais leur ont montré que cet effet était sans doute lié au mode de fonctionnement de notre mémoire.
             Notre cerveau reconnait des similitudes entre notre sensation actuelle et celle d’un souvenir passé; nous nous retrouvons avec un sentiment de déjà-vu que nous ne pouvons pas tout а fait situe; mais comment l’expliquer ?

             Certains pensent qu’il s’agit d’une erreur d’aiguillage, la sensation imédiate aurait dû être enregistrée dans la mémoire à court terme et aurait été envoyée dans la mémoire à long terme et se serait confrontée à un souvenir réel semblable.
             D’autres pensent que la sensation a été envoyée par erreur aux centres qui s’activent lorsque nous voyons des endroits habituels ou des visages connus : le cortex rhinal.
            Mais sous IRM, on peut montrer que l’hippocampe n’est pas mis en activité par le déjà-vu, ce qui semble infirmer le fait qu’il soit imputable à notre mémoire, et les zones actives du cerveau étaient celles du cortex préfrontal, qui participent à la prise de décision, à la détection des erreurs et à la résolution des contradictions.
              C’est l’activation des structures cérébrales de gestion des erreurs et des contradictions qui, nous donnerait la sensation bizarre et agaçante de « déjà-vu »

              Bon maintenant je suis rassuré, je suis "normal". Mais cela ne m'empêchera pas de croire que j'ai déjà vu quelque chose, ou entendu un air de musique et je ne saurai toujours pas où, quand, comment.  Grrrr....

             

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  • Un souvenir de peut être oublié volontairement et les données rappelées peuvent être inexactes.

                 Mon article sera la suite de celui d’hier et nécessite que vous l’ayez lu, si vous voulez, aujourd’hui, comprendre si on peut ou non oublier volontairement un souvenir, et si un souvenir oublié peut être rappelé et si ses données sont véritables.

               De nombreuses études ont été faites sur des participants volontaires et ont montré qu’il était impossible d’oublier volontairement et rapidement un souvenir qui avait été consolidé et donc inscrit dans notre mémoire à long terme. Au contraire les efforts pour l’oublier le rappelait davantage.
              La seule façon d’oublier est d’y penser le moins possible et de laisser faire le mécanisme naturel d’oubli.
              On peut d’ailleurs constater qu,e dans notre mémoire épisodique, nous avons peu de souvenirs des innombrables instants passés de notre vie, surtout ancienne, et ces souvenirs pérennes sont le plus souvent ceux qui ont une certaine importance pour nous, notamment émotionnelle.
             L’émotion peut être sentimentale, altruiste, celle d’un instant de bonheur ou au contraire d’une catastrophe horrible, mais aussi la curiosité, la première fois où nous avons vu un phénomène étonnant, bref une émotion causée par la montée d’adrénaline.
              Nous ne sommes toutefois pas égaux quant au contrôle de notre mémoire. Le pessimiste dont les centres amygdaliens sont très actifs, va se rappeler plus souvent les souvenirs pénibles ou préoccupants, alors que l’optimiste, dont le cortex préfrontal contrôle mieux la mémoire, va plutôt se rappeler les instants heureux.
             En fait nous rappelons souvent les souvenirs importants, ceux qui nous plaisent ou nous préoccupent, et donc nous les consolidons à chaque fois, mais il faut être conscient que nous les réenregistrons en les modifiant, en y rajoutant des éléments récents, et en mélangeant parfois des souvenirs distincts. Nos souvenirs évoluent donc et s’éloignent de la réalité initiale.

               On ne peut donc pas oublier rapidement et volontairement un souvenir qui est ancré dans notre mémoire à long terme.

             Certains souvenirs peuvent cependant être oubliés involontairement.
            
    Il s’agit essentiellement de souvenirs traumatiques pour lesquels le cerveau va essayer de protéger l’individu en l’empêchant de se remémorer le souvenir traumatisant.

            Je ne parle pas ici d’un choc physique sur le crâne qui aurait causé un dommage au cerveau, mais d' un phénomène neurologique spontané et inconscient. La personne ne se souvient plus du traumatisme qu’elle a subi.
           
    De très nombreuses études ont été faites à ce sujet, surtout depuis 1980, principale-ment sur des soldats américains traumatisé par les combats qu’ils ont vécu, les victimes ou témoins d’attentats et de tueries dans les établissements scolaires aux USA, et des enfants victimes de violences.

             Trois théories expliquent le phénomène.

             Jusque dans les années 80 la « théorie des souvenirs refoulés » a prévalu. Elle était soutenue par Freud et ses disciples notamment Lacan.
             Le souvenir traumatisant est refoulé dans l’inconscient et conservé intact, mais il ne peut plus remonter à la conscience afin de protéger l’individu. Il peut éventuellement réapparaître peu à peu par bribes et flashs, soit à la suite d’un événement déclencheur, soit suite à une psychothérapie. 
            Freud admettait toutefois que « les souvenirs réapparus peuvent aussi représenter des fantasmes nés de pulsions refoulées » et donc non conformes à la réalité.

             Les connaissances sur le cerveau ont progressé, même si l'on connaît encore insuffisamment le fonctionnement de notre mémoire;, et elles ont montré que cette théorie n'était pas valable.
            Dans les années 70 et 89, de nombreuses erreurs judiciaires s’étant produites au USA, elle a peu à peu été remplacée par deux autres, notamment sous m’impulsion de la chercheuse et psychologue cognitiviste américaine, Elisabeth F. Loftus, spécialiste de la mémoire humaine.

             Oublier est impossible ou correspond à une destruction du souvenir. Un souvenir qui n’a pas été évoqué depuis très longtemps n’est pas oublié et peut donc remonter à la conscience, mais entier et d’un seul coup et peut comporter, comme tout souvenir des éléments inexacts.
             Mais un souvenir oublié qui remonte par flashs est, dans presque tous les cas,  un faux souvenir par mélange avec d’autres souvenirs, correspondant à des souhaits non réalisés ou surtout d’éléments suggérés par des lectures ou des questions des psychothérapeutes.       
          Madame Loftus a réalisé des expérimentations dans lesquelles elle avait réussi à créer chez ses patients, de faux souvenirs (non traumatisants par souci éthique) et elle affirmait : "La mémoire ne fonctionne pas comme une cassette vidéo, nous ne pouvons pas enregistrer quelque chose et le revoir plus tard. Nous enregistrons des bribes de nos expériences et les combinons ensemble. Nous construisons fondamentalement nos souvenirs et nous ne pouvons pas faire toujours confiance en notre mémoire" 
             Les souvenirs ne peuvent être refoulés puis récupérés comme un film que l'on n'oserait visionner.

             La troisième théorie reprend la précédente, mais en admettant des exceptions.
            
    Elle admet que le rappel du souvenir peut être « bloqué » sans pouvoir être remémoré, pour protéger le cerveau de la personne traumatisée. Ce souvenir peut être récupéré dans des circonstances diverses, mais il faut être très prudents quant à la véracité des éléments récupérés qui peuvent être influencés ou transformés en fonction de circonstances propres à la personnes, extérieures: ou relatives aux conditions dans lesquelles le souvenir a été remémoré. 
            La personne qui recouvre le souvenir est le plus souvent de bonne foi. Son souvenir lui paraît vraisemblable, surtout s'il a été retrouvé grâce à des personnes dépositaires d'un certain savoir, qui n'ont pas été assez prudentes, sans s'en rendre compte.
            Mais, même s'il n'est pas construit de toutes pièces, il contient de nombreuses inexactitudes, par mélange du passé et des souhaits inconscients du présent.
            La justice américaine n’admet donc pas un souvenir récupéré comme une preuve, mais comme une simple présomption, qui doit être consolidée par des preuves réelles pour aboutir à une poursuite judiciaire.

          Un document d'un psychologue canadien résume bien cette situation : je vous en donne l'adresse : https://www.ordrepsy.qc.ca/-/la-detection-de-faux-souvenirs

            Je n’ai pas d’exemple personnel correspondant à ces théories, mais je peux vous donner un exemple quant au peu de fiabilité d’un souvenir traumatisant.

            J’avais une douzaine d’années et j’étais avec un camarade de classe sur un trottoir, qui tenait son vélo par le guidon, les roues étant dans la rue. Un camion, qui roulait trop près et trop vite, a accroché le vélo et entraîné mon camarade, qu’il a heurté avec ses roues arrière. L’ambulance est venue très vite, le médecin a intubé et posé un cathéter sur place puis mon camarade a été emmené aux urgence où malheureusement il est décédé peu après.. Pendant trois mois je n’ai pas pu repasser par cette rue et l’image de mon camarade blessé m’a poursuivie.
           Trois ans après je roulais sur une rue étroite, bordée d’immeubles, sur le vieux vélo de ma mère à col de cygne. En bas de la rue une avenue plus grande et j’ai vu un camion qui passait; j’ai commencé à freiner, mais je ne pouvais voir (les immeubles me le cachaient),  que le camion avait une remorque que j’ai percutée. Heureusement le cadre du vélo (sans barre) s’est plié et a amorti le choc, mais j’ai cogné le coté du camion avec ma tête et j’ai été assommé.
            Je me souviens m’être réveillé à l’hôpital un tube dans ma gorge, des tuyaux dans le nez et un cathéter dans le bras mais je ne sais pas quand on me le a enlevés. Je ne les avais plus quand mes parents sont arrivés, mais je leur ai raconté la scène
             Mes parents ont vu le médecin et quand ils sont revenus ils m’ont dit que je n’avais été qu’assommé et qu’on m’avait seulement fait une piqûre et une radio du crâne.
             Je croyais tellement à mon souvenir que j’ai dû aller lire le compte rendu de l’hôpital et celui de la police pour me convaincre. Mon souvenir était le mélange de la réalité et de l’accident de mon camarade.!

             J’espère que la lecture de ces quatre articles ne vous a pas trop éprouvé et qu’ils ont répondu aux questions qui m’avaient été posées.


             

     

              

     

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  • Souvenirs à court et à long terme


                
    Je voudrais pouvoir répondre aux questions : 
                     - Peut on oublier un souvenir, notamment traumatisant ?

                     - Peut on rappeler un souvenir que l’on a oublié depuis des années.?
               Mais ce sont des question complexes et pour les comprendre, il faut avoir des notions sur la façon dont les souvenirs se consolident dans notre mémoire. Ce sera le sujet d’aujourd’hui.

              Je vous ai dit avant hier qu’un souvenir se créait par renforcement des synapses qui lient entre eux les neurones qui contiennent l’information le concernant. Cela se fait en deux temps.

              Nos sens nous apportent en permanence des informations. Par exemple en conduisant, vous surveillez la route, l’environnement les autres voitures et cela représente une vingtaine d’images par seconde, donc une quantité énorme à mémoriser. Et comme ces informations ne serviront plus à rien dans quelques secondes, elles sont mises dans une mémoire tampon, puis supprimées quelques secondes plus tard.
              Je gare ma voiture dans une rue. Je dois me rappeler où. Les synapses des neurones qui en mémorisent l’emplacement vont voir leurs connexions renforcées et liées à la question « où est ma voiture ? » J’ai stocké l’information à court terme.
               Quand je reviens je rappelle l’information, qui, une fois reparti, ne me sert plus. Les connexions vont peu à peu disparaître et le souvenir s’effacer.

              Mais si j’étais distrait quand j’ai garé ma voiture, je n’ai pas assez fait attention et le renforce-ment des connexions a été faible. En revenant je ne me rappellerai plus où est garée ma voiture et il me faudra chercher 5 minutes, jusqu’à ce qu’un image tout à coup réamorce le souvenir.
              La prochaine fois je serai stressé par la peur que cela recommence. Mon attention sera plus grande et l’émotion, le stress que je ressentirai fera que les connexions seront beaucoup plus fortes.

                Supposons maintenant que l’information soit importante. Elle sera d’abord stockée provi-soirement, comme précédemment  dans une mémoire à court terme.
                Mais, la nuit suivante, le cerveau va trier les événements importants et ceux qui ne le sont pas. Il ne renforcera pas ces derniers, mais il va (de façon inconsciente puisque nous dormons), rappeler plusieurs fois ceux qui lui paraissent importants, ce qui va renforcer les connexions suffisamment pour que leur mémorisation ait une longue durée.
               C'est la mémoire épisodique à long terme

                On peut démontrer cela sur des animaux. En produisant des décharges électriques analogues aux impulsions d’influx nerveux produites la nuit. Une décharge renforce la mémorisation du souvenir, et au bout de 4 à 5 décharges le souvenir est mémorisé pour très longtemps.
                On appelle ce phénomène la « potentialisation à long terme » qui intervient donc normalement dans les 24 heures.  
                 Toutefois si le souvenir est porteur d’une forte émotion, on constate que  cette potentia-lisation intervient plus rapidement et est encore renforcée par le sommeil. Le souvenir devient permanent et peut harceler la personne en revenant spontanément dans son esprit. C’est notamment le cas de personnes qui ont subi des traumatismes : accident, agression, attentat, suite de cataclysmes ou de guerre, décès d'un proche, rupture amoureuse …. 


    Comment a lieu physiquement cette potentialisation.?             
           Au plan macroscopique, on note un renforcement des connexions tel que le déclenchement de l’influx nerveux se fasse pour un seuil d’excitation plus bas. On peut avoir un stockage et une libération de neurotransmetteurs plus importants, et pour les potentialisations les plus fortes, la création, entre les neurones liés, de synapses supplémentaires.
           Au plan micriscopique et chimique c’est plus complexe.
           Les essais sur animaux ont montré que des gènes contrôlent le fonctionnement de la mémoire en provoquant la transcription de l’ADN des neurones en ARN, qui migre ensuite dans le cytoplasme du neurone pour y produire des protéines spécifiques, soit qui fixent les connexions synaptiques à court terme pour former des réseaux de souvenirs à long terme, soit qui ralentissent plus ou moins fortement la décroissance du renforcement des connexions qui se produit au cours du temps postérieur à la potentialisation.

    Pourquoi les souvenirs d’émotions ou traumatiques sont ils plus forts et durables.?
           Il semble que quatre phénomènes soient en cause, mais qui sont variables selon les individus.
                 - la quantité de neurotransmetteur délivrée lors de la potentialisation dans les synapses (et donc la stimulation) est plus forte et formation éventuelle de synapse supplémentaire.
                  -  les centres amygdaliens qui sont nerveusement très liés à l’hippocampe, sont très sensibles aux événements et émotions négatives, et ils renforcent encore plus les connexions que celui-ci a déjà renforcées.
                   - ces centres provoquent la sécrétion d’hormones du stress, qui favorisent l’expression des gènes précités et donc la potentialisation.
                  - les hormones du stress ralentissent la décroissance du renforcement des connexions qui intervient dans le temps, pouvant même l’annuler presque.

               Il faut noter que nous ne sommes pas sensibles de la même façon et des études américaines sur les conséquences posttraumatiques des scènes de guerre sur d’anciens soldats, ont montré que chez ceux qui étaient les plus touchés, ce mécanisme de décroissance et d’oubli progressif était         « enrayé ». Les personnes étaient alors incapables de diminuer et supprimer ces souvenirs, le cortex préfrontal perdait en partie son contrôle sur l’hippocampe et laissait ainsi la place aux centres amygdaliens pour empêcher l’oubli.
             Je parlerai demain de ces souvenirs post traumatique en répondant aux deux questions posées.

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