• Nos sensations et les mots se mélangent dans notre mémoire.

    Nos sensations et les mots se mélangent dans notre mémoire.

              A la suite des articles que j’ai faits mi-février sur la mémoire, pour répondre à la demande d’une correspondante, j’ai reçu d’autre mails qui me posent plusieurs questions et je vais essayer de regrouper les réponses dans deux articles.

              Vous aviez été intrigués parce que j’avais dit, à propos de chat GPT, qu’il ne comprenait pas la signification des mots qu’il utilisait, car il n’avait auxune sensation et les mots sont issus des sensations. Je voudrais compléter cet article par un aperçu de l’organisation de la mémoire des mots.

              De grands progrès ont été faits depuis 10 ans dans la connaissance de la mémoire et notamment plusieurs articles de la revue « Nature » faisaient le point sur l’implantation relative des images et plus généralement des perceptions et des mots.
              Ces progrès ont été d’abord ceux de l’IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) pour étudier le système visuel humain. L’IRMf permet de mesurer des variations du flux sanguin et de l’activité électrique dans le cerveau, et on l’utilise souvent pour déterminer les régions du cortex rйagissant à différents stimuli.
              On arrive à segmenter les données en enregistrements pour des volumes de tissu cérébral minuscules, de la taille d’un pois et appelés « voxels » (un voxel étant l’équivalent d’un pixel, mais en trois dimensions).
             Les chercheurs ont ainsi fait une carte des activités des centres d’interprétation des signaux visuels et notamment des zones  (le « Quoi » dont j’ai déjà parlé), où sont stockés les images de centaines d’objet et des lieux qu’elles représentent ( le « Où »).

             D’autres chercheurs (notamment Jack Gallant et Alexandre Huht), ont appliqué les mêmes méthodes aux centres sémantiques qui stockent les mots (le centre de Geschwind dont j’ai déjà parlé).
             Ils ont confirmé que les neurones associés aux mots qui représentaient les mêmes types d’objets (par exemple les outils, les animaux, les ustensiles de cuisine….) étaient voisins et regroupés par petits centres.
             Comme certains patients volontaires étaient communs à ces études, ils ont pu comparer les deux cartes visuelle et sémantique et ils ont trouvé que les images et les mots qui représentaient une catégorie d’objets, étaient voisines, mais avec un léger décalage dans l’espace.
              Les zones sémantiques formaient une sorte de ruban autour des zones visuelles du « Quoi » et du « Où ». Le partie voisine des centres d’interprétation de la vue répondait exclusivement aux images, puis venait une zone où les images et les mots étaient représentés, jusqu’à ce que, à la frontière de la région, seuls les mots provoquent une activité corticale. Une étude statistique a montré que le passage se faisait progressivement et que l’on pouvait calculer un gradient de passage des images aux mots. (cf. figure ci-dessous).
              Ce schéma d’organisation a été retrouvé chez tous les patients objets des études.

    Nos sensations et les mots se mélangent dans notre mémoire.

              Dans tout cerveau, il existe donc une frontière mêlant les représentations visuelles et sémantiques de chaque objet, lieu, concept, entre deux zones où sont représentées d’un coté les images (près des centres d’interprétation visuelle) et d’autre part les mots (de l’autre coté de la frontière).

             Ce n’est pas tellement étonnant car, comme je l’vais écrit dans l’article concernant ChatGPT, les mots sont acquis par l’enfant à partir de sensations de nos cinq sens, notamment des images de la vision. Et même les concepts abstraits dérivent de représentations s’appuyant sur des sensations concrètes.
             La partie sémantique du cerveau se construit donc progressivement à partir des parties représentant les sensations.

            En 2013, Christopher Baldassano, neuroscientifique de l’université de Columbia, a découvert que si la zone des images était liée aux centres d’interprétation visuelle, la zone sémantique était surtout liée aux réseaux de la mémoire.
             Il semblerait donc que perception et mémoire soient aussi profondément enchevêtrées.
             Nous avons souvent l’impression d’avoir des représentations visuelles des choses, des événements vécus, mais nous savons aussi que, lorsque nous imaginons quelque chose ou que nous nous en souvenons, c’est différent de ce que nous voyons et de ce que nous avons vu réellement.
              Ce que nous voyons dans notre esprit serait une réinterprétation d’une scène ou d’un objet dont nous nous souvenons, reposant sur son contenu sémantique, plutôt qu’une reproduction exacte de la chose.
             Pour vérifier ces hypothèses, les chercheurs travaillent maintenant avec des personnes qui semblent incapables de faire apparaître des images mentales, un déficit neurologique rare.

             Nos souvenirs se sémantiseraient donc tout au cours de notre vie.
             Effectivement nos souvenirs récents sont épisodiques c’est à dire datés dans le temps. Au fur et à mesure qu’on s’en éloigne, ce datage disparait et on ne se souvient alors que d’un schéma général, avec quelques éléments vivaces correspondant en général à des moments émotionnels.

              La mémoire serait organisée à partir des souvenirs des sens, passage au sémantique et la mémoire épisodique (les souvenirs) se nourissant ensuite des souvenirs sémantiques.
              Mais de plus intervient la mémoire collective des événements partagés avec d’autres individus, qui peut modifier nos souvenirs en mélangeant des situations qui nous ont frappés surtout émotionnellement.
               Interviennent aussi nos lectures qui ajoutent des souvenirs sémantiques, sans image réelle, mais éventuellement avec des images intérieures imaginées, et les souvenirs peuvent assembler souvenirs réels et ceux de lectures.

             Cette organisation nous permet aussi de comprendre pourquoi on n'a aucun souvenir de notre vie avant trois ans (pas encore un langage sémantique suffisant) ou même avant une dizaine d'années, (passage au sémantique encore faible) et que ces souvenirs sont souvent reconstitués : photos, récits de la famille, mélange de souvenirs de dates différentes, disparition ou reconstruction différent des détails....

             Demain j’essaierai de répondre aux questions posées sur la mémoire et les comportements de personnes ayant subi de grands chocs traumatiques, tels les militaires qui sont passés près de la mort, en opérations, ou les témoins des attentats, comme ceux des tours américaines ou du Bataclan.

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