-
Par papynet le 9 Mars 2024 à 07:29
A la suite des articles que j’ai faits mi-février sur la mémoire, pour répondre à la demande d’une correspondante, j’ai reçu d’autre mails qui me posent plusieurs questions et je vais essayer de regrouper les réponses dans deux articles.
Vous aviez été intrigués parce que j’avais dit, à propos de chat GPT, qu’il ne comprenait pas la signification des mots qu’il utilisait, car il n’avait auxune sensation et les mots sont issus des sensations. Je voudrais compléter cet article par un aperçu de l’organisation de la mémoire des mots.
De grands progrès ont été faits depuis 10 ans dans la connaissance de la mémoire et notamment plusieurs articles de la revue « Nature » faisaient le point sur l’implantation relative des images et plus généralement des perceptions et des mots.
Ces progrès ont été d’abord ceux de l’IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) pour étudier le système visuel humain. L’IRMf permet de mesurer des variations du flux sanguin et de l’activité électrique dans le cerveau, et on l’utilise souvent pour déterminer les régions du cortex rйagissant à différents stimuli.
On arrive à segmenter les données en enregistrements pour des volumes de tissu cérébral minuscules, de la taille d’un pois et appelés « voxels » (un voxel étant l’équivalent d’un pixel, mais en trois dimensions).
Les chercheurs ont ainsi fait une carte des activités des centres d’interprétation des signaux visuels et notamment des zones (le « Quoi » dont j’ai déjà parlé), où sont stockés les images de centaines d’objet et des lieux qu’elles représentent ( le « Où »).D’autres chercheurs (notamment Jack Gallant et Alexandre Huht), ont appliqué les mêmes méthodes aux centres sémantiques qui stockent les mots (le centre de Geschwind dont j’ai déjà parlé).
Ils ont confirmé que les neurones associés aux mots qui représentaient les mêmes types d’objets (par exemple les outils, les animaux, les ustensiles de cuisine….) étaient voisins et regroupés par petits centres.
Comme certains patients volontaires étaient communs à ces études, ils ont pu comparer les deux cartes visuelle et sémantique et ils ont trouvé que les images et les mots qui représentaient une catégorie d’objets, étaient voisines, mais avec un léger décalage dans l’espace.
Les zones sémantiques formaient une sorte de ruban autour des zones visuelles du « Quoi » et du « Où ». Le partie voisine des centres d’interprétation de la vue répondait exclusivement aux images, puis venait une zone où les images et les mots étaient représentés, jusqu’à ce que, à la frontière de la région, seuls les mots provoquent une activité corticale. Une étude statistique a montré que le passage se faisait progressivement et que l’on pouvait calculer un gradient de passage des images aux mots. (cf. figure ci-dessous).
Ce schéma d’organisation a été retrouvé chez tous les patients objets des études.Dans tout cerveau, il existe donc une frontière mêlant les représentations visuelles et sémantiques de chaque objet, lieu, concept, entre deux zones où sont représentées d’un coté les images (près des centres d’interprétation visuelle) et d’autre part les mots (de l’autre coté de la frontière).
Ce n’est pas tellement étonnant car, comme je l’vais écrit dans l’article concernant ChatGPT, les mots sont acquis par l’enfant à partir de sensations de nos cinq sens, notamment des images de la vision. Et même les concepts abstraits dérivent de représentations s’appuyant sur des sensations concrètes.
La partie sémantique du cerveau se construit donc progressivement à partir des parties représentant les sensations.En 2013, Christopher Baldassano, neuroscientifique de l’université de Columbia, a découvert que si la zone des images était liée aux centres d’interprétation visuelle, la zone sémantique était surtout liée aux réseaux de la mémoire.
Il semblerait donc que perception et mémoire soient aussi profondément enchevêtrées.
Nous avons souvent l’impression d’avoir des représentations visuelles des choses, des événements vécus, mais nous savons aussi que, lorsque nous imaginons quelque chose ou que nous nous en souvenons, c’est différent de ce que nous voyons et de ce que nous avons vu réellement.
Ce que nous voyons dans notre esprit serait une réinterprétation d’une scène ou d’un objet dont nous nous souvenons, reposant sur son contenu sémantique, plutôt qu’une reproduction exacte de la chose.
Pour vérifier ces hypothèses, les chercheurs travaillent maintenant avec des personnes qui semblent incapables de faire apparaître des images mentales, un déficit neurologique rare.Nos souvenirs se sémantiseraient donc tout au cours de notre vie.
Effectivement nos souvenirs récents sont épisodiques c’est à dire datés dans le temps. Au fur et à mesure qu’on s’en éloigne, ce datage disparait et on ne se souvient alors que d’un schéma général, avec quelques éléments vivaces correspondant en général à des moments émotionnels.
La mémoire serait organisée à partir des souvenirs des sens, passage au sémantique et la mémoire épisodique (les souvenirs) se nourissant ensuite des souvenirs sémantiques.
Mais de plus intervient la mémoire collective des événements partagés avec d’autres individus, qui peut modifier nos souvenirs en mélangeant des situations qui nous ont frappés surtout émotionnellement.
Interviennent aussi nos lectures qui ajoutent des souvenirs sémantiques, sans image réelle, mais éventuellement avec des images intérieures imaginées, et les souvenirs peuvent assembler souvenirs réels et ceux de lectures.Cette organisation nous permet aussi de comprendre pourquoi on n'a aucun souvenir de notre vie avant trois ans (pas encore un langage sémantique suffisant) ou même avant une dizaine d'années, (passage au sémantique encore faible) et que ces souvenirs sont souvent reconstitués : photos, récits de la famille, mélange de souvenirs de dates différentes, disparition ou reconstruction différent des détails....
Demain j’essaierai de répondre aux questions posées sur la mémoire et les comportements de personnes ayant subi de grands chocs traumatiques, tels les militaires qui sont passés près de la mort, en opérations, ou les témoins des attentats, comme ceux des tours américaines ou du Bataclan.
votre commentaire -
Par papynet le 2 Mars 2024 à 07:45
Cela m’agace. Je deviens vieux (je vais bientôt avoir 92 ans!) et je n’ai plus ma mémoire d'autrefois.
Alors j’ai souvent un trou quand j’écris, le « mot sur la langue », oui mais il met 30 secondes à me revenir à l’esprit.
Je croise aussi des personnes et je ne me rappelle plus leur nom, ou l’on me cite M. Untel et je ne me souviens plus de son visage, comme diraient mes petits enfants, « de la tête qu’il avait ».
Un autre défaut de mon cerveau, la sensation de « déjà vu ».
j’ai déjà vu cette personne, mais où et qui est ce ? J’ai déjà vu ce chien qu’on promène en laisse (mais pas son maître ! ) J’ai déjà lu cela, mais dans quelle revue ? J’ai déjà vécu cet instant là, mais quand
C’est agaçant. Mais bien sûr, je ne crois pas aux vies antérieures, surtout dans la peau d’un chien qu’on promène.Alors j'ai cherché des explications dans la littérature sur le cerveau.
Les scientifiques ont essayé de recréer le déjà-vu en laboratoire.
Ils ont implantés de faux souvenirs dans le cerveau de patients sous hypnose (par exemple un objet), et ont ordonné à certains d’entre eux de l’oublier et à d’autres de se le rappeler.
Chez ces derniers, une fois réveillés, la vue de l’objet du souvenir s’accompagnait d’un sentiment de déjà-vu. Ils avaient vu cet objet mais ils ne pouvaient pas dire ni où, ni avec qui, ni quand exactement.
D’autres chercheurs ont essayé de provoquer une impression de déjà-vu en utilisant la réalité virtuelle, en utilisant un jeu où l’on se déplaçait en divers endroits.
Les essais leur ont montré que cet effet était sans doute lié au mode de fonctionnement de notre mémoire.
Notre cerveau reconnait des similitudes entre notre sensation actuelle et celle d’un souvenir passé; nous nous retrouvons avec un sentiment de déjà-vu que nous ne pouvons pas tout а fait situe; mais comment l’expliquer ?
Certains pensent qu’il s’agit d’une erreur d’aiguillage, la sensation imédiate aurait dû être enregistrée dans la mémoire à court terme et aurait été envoyée dans la mémoire à long terme et se serait confrontée à un souvenir réel semblable.
D’autres pensent que la sensation a été envoyée par erreur aux centres qui s’activent lorsque nous voyons des endroits habituels ou des visages connus : le cortex rhinal.
Mais sous IRM, on peut montrer que l’hippocampe n’est pas mis en activité par le déjà-vu, ce qui semble infirmer le fait qu’il soit imputable à notre mémoire, et les zones actives du cerveau étaient celles du cortex préfrontal, qui participent à la prise de décision, à la détection des erreurs et à la résolution des contradictions.
C’est l’activation des structures cérébrales de gestion des erreurs et des contradictions qui, nous donnerait la sensation bizarre et agaçante de « déjà-vu »Bon maintenant je suis rassuré, je suis "normal". Mais cela ne m'empêchera pas de croire que j'ai déjà vu quelque chose, ou entendu un air de musique et je ne saurai toujours pas où, quand, comment. Grrrr....
votre commentaire -
Par papynet le 19 Février 2024 à 08:12
Mon article sera la suite de celui d’hier et nécessite que vous l’ayez lu, si vous voulez, aujourd’hui, comprendre si on peut ou non oublier volontairement un souvenir, et si un souvenir oublié peut être rappelé et si ses données sont véritables.
De nombreuses études ont été faites sur des participants volontaires et ont montré qu’il était impossible d’oublier volontairement et rapidement un souvenir qui avait été consolidé et donc inscrit dans notre mémoire à long terme. Au contraire les efforts pour l’oublier le rappelait davantage.
La seule façon d’oublier est d’y penser le moins possible et de laisser faire le mécanisme naturel d’oubli.
On peut d’ailleurs constater qu,e dans notre mémoire épisodique, nous avons peu de souvenirs des innombrables instants passés de notre vie, surtout ancienne, et ces souvenirs pérennes sont le plus souvent ceux qui ont une certaine importance pour nous, notamment émotionnelle.
L’émotion peut être sentimentale, altruiste, celle d’un instant de bonheur ou au contraire d’une catastrophe horrible, mais aussi la curiosité, la première fois où nous avons vu un phénomène étonnant, bref une émotion causée par la montée d’adrénaline.
Nous ne sommes toutefois pas égaux quant au contrôle de notre mémoire. Le pessimiste dont les centres amygdaliens sont très actifs, va se rappeler plus souvent les souvenirs pénibles ou préoccupants, alors que l’optimiste, dont le cortex préfrontal contrôle mieux la mémoire, va plutôt se rappeler les instants heureux.
En fait nous rappelons souvent les souvenirs importants, ceux qui nous plaisent ou nous préoccupent, et donc nous les consolidons à chaque fois, mais il faut être conscient que nous les réenregistrons en les modifiant, en y rajoutant des éléments récents, et en mélangeant parfois des souvenirs distincts. Nos souvenirs évoluent donc et s’éloignent de la réalité initiale.On ne peut donc pas oublier rapidement et volontairement un souvenir qui est ancré dans notre mémoire à long terme.
Certains souvenirs peuvent cependant être oubliés involontairement.
Il s’agit essentiellement de souvenirs traumatiques pour lesquels le cerveau va essayer de protéger l’individu en l’empêchant de se remémorer le souvenir traumatisant.Je ne parle pas ici d’un choc physique sur le crâne qui aurait causé un dommage au cerveau, mais d' un phénomène neurologique spontané et inconscient. La personne ne se souvient plus du traumatisme qu’elle a subi.
De très nombreuses études ont été faites à ce sujet, surtout depuis 1980, principale-ment sur des soldats américains traumatisé par les combats qu’ils ont vécu, les victimes ou témoins d’attentats et de tueries dans les établissements scolaires aux USA, et des enfants victimes de violences.
Trois théories expliquent le phénomène.
Jusque dans les années 80 la « théorie des souvenirs refoulés » a prévalu. Elle était soutenue par Freud et ses disciples notamment Lacan.
Le souvenir traumatisant est refoulé dans l’inconscient et conservé intact, mais il ne peut plus remonter à la conscience afin de protéger l’individu. Il peut éventuellement réapparaître peu à peu par bribes et flashs, soit à la suite d’un événement déclencheur, soit suite à une psychothérapie.
Freud admettait toutefois que « les souvenirs réapparus peuvent aussi représenter des fantasmes nés de pulsions refoulées » et donc non conformes à la réalité.
Les connaissances sur le cerveau ont progressé, même si l'on connaît encore insuffisamment le fonctionnement de notre mémoire;, et elles ont montré que cette théorie n'était pas valable.
Dans les années 70 et 89, de nombreuses erreurs judiciaires s’étant produites au USA, elle a peu à peu été remplacée par deux autres, notamment sous m’impulsion de la chercheuse et psychologue cognitiviste américaine, Elisabeth F. Loftus, spécialiste de la mémoire humaine.Oublier est impossible ou correspond à une destruction du souvenir. Un souvenir qui n’a pas été évoqué depuis très longtemps n’est pas oublié et peut donc remonter à la conscience, mais entier et d’un seul coup et peut comporter, comme tout souvenir des éléments inexacts.
Mais un souvenir oublié qui remonte par flashs est, dans presque tous les cas, un faux souvenir par mélange avec d’autres souvenirs, correspondant à des souhaits non réalisés ou surtout d’éléments suggérés par des lectures ou des questions des psychothérapeutes.
Madame Loftus a réalisé des expérimentations dans lesquelles elle avait réussi à créer chez ses patients, de faux souvenirs (non traumatisants par souci éthique) et elle affirmait : "La mémoire ne fonctionne pas comme une cassette vidéo, nous ne pouvons pas enregistrer quelque chose et le revoir plus tard. Nous enregistrons des bribes de nos expériences et les combinons ensemble. Nous construisons fondamentalement nos souvenirs et nous ne pouvons pas faire toujours confiance en notre mémoire"
Les souvenirs ne peuvent être refoulés puis récupérés comme un film que l'on n'oserait visionner.La troisième théorie reprend la précédente, mais en admettant des exceptions.
Elle admet que le rappel du souvenir peut être « bloqué » sans pouvoir être remémoré, pour protéger le cerveau de la personne traumatisée. Ce souvenir peut être récupéré dans des circonstances diverses, mais il faut être très prudents quant à la véracité des éléments récupérés qui peuvent être influencés ou transformés en fonction de circonstances propres à la personnes, extérieures: ou relatives aux conditions dans lesquelles le souvenir a été remémoré.
La personne qui recouvre le souvenir est le plus souvent de bonne foi. Son souvenir lui paraît vraisemblable, surtout s'il a été retrouvé grâce à des personnes dépositaires d'un certain savoir, qui n'ont pas été assez prudentes, sans s'en rendre compte.
Mais, même s'il n'est pas construit de toutes pièces, il contient de nombreuses inexactitudes, par mélange du passé et des souhaits inconscients du présent.
La justice américaine n’admet donc pas un souvenir récupéré comme une preuve, mais comme une simple présomption, qui doit être consolidée par des preuves réelles pour aboutir à une poursuite judiciaire.Un document d'un psychologue canadien résume bien cette situation : je vous en donne l'adresse : https://www.ordrepsy.qc.ca/-/la-detection-de-faux-souvenirs
Je n’ai pas d’exemple personnel correspondant à ces théories, mais je peux vous donner un exemple quant au peu de fiabilité d’un souvenir traumatisant.J’avais une douzaine d’années et j’étais avec un camarade de classe sur un trottoir, qui tenait son vélo par le guidon, les roues étant dans la rue. Un camion, qui roulait trop près et trop vite, a accroché le vélo et entraîné mon camarade, qu’il a heurté avec ses roues arrière. L’ambulance est venue très vite, le médecin a intubé et posé un cathéter sur place puis mon camarade a été emmené aux urgence où malheureusement il est décédé peu après.. Pendant trois mois je n’ai pas pu repasser par cette rue et l’image de mon camarade blessé m’a poursuivie.
Trois ans après je roulais sur une rue étroite, bordée d’immeubles, sur le vieux vélo de ma mère à col de cygne. En bas de la rue une avenue plus grande et j’ai vu un camion qui passait; j’ai commencé à freiner, mais je ne pouvais voir (les immeubles me le cachaient), que le camion avait une remorque que j’ai percutée. Heureusement le cadre du vélo (sans barre) s’est plié et a amorti le choc, mais j’ai cogné le coté du camion avec ma tête et j’ai été assommé.
Je me souviens m’être réveillé à l’hôpital un tube dans ma gorge, des tuyaux dans le nez et un cathéter dans le bras mais je ne sais pas quand on me le a enlevés. Je ne les avais plus quand mes parents sont arrivés, mais je leur ai raconté la scène
Mes parents ont vu le médecin et quand ils sont revenus ils m’ont dit que je n’avais été qu’assommé et qu’on m’avait seulement fait une piqûre et une radio du crâne.
Je croyais tellement à mon souvenir que j’ai dû aller lire le compte rendu de l’hôpital et celui de la police pour me convaincre. Mon souvenir était le mélange de la réalité et de l’accident de mon camarade.!J’espère que la lecture de ces quatre articles ne vous a pas trop éprouvé et qu’ils ont répondu aux questions qui m’avaient été posées.
votre commentaire -
Par papynet le 18 Février 2024 à 07:34
Je voudrais pouvoir répondre aux questions :
- Peut on oublier un souvenir, notamment traumatisant ?
- Peut on rappeler un souvenir que l’on a oublié depuis des années.?
Mais ce sont des question complexes et pour les comprendre, il faut avoir des notions sur la façon dont les souvenirs se consolident dans notre mémoire. Ce sera le sujet d’aujourd’hui.Je vous ai dit avant hier qu’un souvenir se créait par renforcement des synapses qui lient entre eux les neurones qui contiennent l’information le concernant. Cela se fait en deux temps.
Nos sens nous apportent en permanence des informations. Par exemple en conduisant, vous surveillez la route, l’environnement les autres voitures et cela représente une vingtaine d’images par seconde, donc une quantité énorme à mémoriser. Et comme ces informations ne serviront plus à rien dans quelques secondes, elles sont mises dans une mémoire tampon, puis supprimées quelques secondes plus tard.
Je gare ma voiture dans une rue. Je dois me rappeler où. Les synapses des neurones qui en mémorisent l’emplacement vont voir leurs connexions renforcées et liées à la question « où est ma voiture ? » J’ai stocké l’information à court terme.
Quand je reviens je rappelle l’information, qui, une fois reparti, ne me sert plus. Les connexions vont peu à peu disparaître et le souvenir s’effacer.
Mais si j’étais distrait quand j’ai garé ma voiture, je n’ai pas assez fait attention et le renforce-ment des connexions a été faible. En revenant je ne me rappellerai plus où est garée ma voiture et il me faudra chercher 5 minutes, jusqu’à ce qu’un image tout à coup réamorce le souvenir.
La prochaine fois je serai stressé par la peur que cela recommence. Mon attention sera plus grande et l’émotion, le stress que je ressentirai fera que les connexions seront beaucoup plus fortes.Supposons maintenant que l’information soit importante. Elle sera d’abord stockée provi-soirement, comme précédemment dans une mémoire à court terme.
Mais, la nuit suivante, le cerveau va trier les événements importants et ceux qui ne le sont pas. Il ne renforcera pas ces derniers, mais il va (de façon inconsciente puisque nous dormons), rappeler plusieurs fois ceux qui lui paraissent importants, ce qui va renforcer les connexions suffisamment pour que leur mémorisation ait une longue durée.
C'est la mémoire épisodique à long termeOn peut démontrer cela sur des animaux. En produisant des décharges électriques analogues aux impulsions d’influx nerveux produites la nuit. Une décharge renforce la mémorisation du souvenir, et au bout de 4 à 5 décharges le souvenir est mémorisé pour très longtemps.
On appelle ce phénomène la « potentialisation à long terme » qui intervient donc normalement dans les 24 heures.
Toutefois si le souvenir est porteur d’une forte émotion, on constate que cette potentia-lisation intervient plus rapidement et est encore renforcée par le sommeil. Le souvenir devient permanent et peut harceler la personne en revenant spontanément dans son esprit. C’est notamment le cas de personnes qui ont subi des traumatismes : accident, agression, attentat, suite de cataclysmes ou de guerre, décès d'un proche, rupture amoureuse ….
Comment a lieu physiquement cette potentialisation.?
Au plan macroscopique, on note un renforcement des connexions tel que le déclenchement de l’influx nerveux se fasse pour un seuil d’excitation plus bas. On peut avoir un stockage et une libération de neurotransmetteurs plus importants, et pour les potentialisations les plus fortes, la création, entre les neurones liés, de synapses supplémentaires.
Au plan micriscopique et chimique c’est plus complexe.
Les essais sur animaux ont montré que des gènes contrôlent le fonctionnement de la mémoire en provoquant la transcription de l’ADN des neurones en ARN, qui migre ensuite dans le cytoplasme du neurone pour y produire des protéines spécifiques, soit qui fixent les connexions synaptiques à court terme pour former des réseaux de souvenirs à long terme, soit qui ralentissent plus ou moins fortement la décroissance du renforcement des connexions qui se produit au cours du temps postérieur à la potentialisation.Pourquoi les souvenirs d’émotions ou traumatiques sont ils plus forts et durables.?
Il semble que quatre phénomènes soient en cause, mais qui sont variables selon les individus.
- la quantité de neurotransmetteur délivrée lors de la potentialisation dans les synapses (et donc la stimulation) est plus forte et formation éventuelle de synapse supplémentaire.
- les centres amygdaliens qui sont nerveusement très liés à l’hippocampe, sont très sensibles aux événements et émotions négatives, et ils renforcent encore plus les connexions que celui-ci a déjà renforcées.
- ces centres provoquent la sécrétion d’hormones du stress, qui favorisent l’expression des gènes précités et donc la potentialisation.
- les hormones du stress ralentissent la décroissance du renforcement des connexions qui intervient dans le temps, pouvant même l’annuler presque.Il faut noter que nous ne sommes pas sensibles de la même façon et des études américaines sur les conséquences posttraumatiques des scènes de guerre sur d’anciens soldats, ont montré que chez ceux qui étaient les plus touchés, ce mécanisme de décroissance et d’oubli progressif était « enrayé ». Les personnes étaient alors incapables de diminuer et supprimer ces souvenirs, le cortex préfrontal perdait en partie son contrôle sur l’hippocampe et laissait ainsi la place aux centres amygdaliens pour empêcher l’oubli.
Je parlerai demain de ces souvenirs post traumatique en répondant aux deux questions posées.
votre commentaire -
Par papynet le 17 Février 2024 à 08:37
Je traiterai aujourd’hui des souvenirs de notre vie, qui se transforment tout au long de celle-ci.
Que disent les chercheurs en neurologie, et quelles sont mes expériences personnelles. ?
Ce que je vais écrire est moins valable pour l’apprentissage de nos connaissances.Y a t’il une sélection, une transformation de ce que nous mémorisons ?
Nous mémorisons avant tout des sensations : images, sons, toucher, odeur, goût et nous accompagnons ces souvenirs de mots qui les décrivent, mais ces mots nous en avons compris la compréhension à partir des images et sensations correspondantes. Les images peuvent être très diverses, paysages, personnes, objets, actions, scènes ….
En plus des sensations issues de nos sens, nous avons éventuellement le souvenir de sensations internes, provenant des centres qui commandent nos muscles ou de ceux qui enregistrent l’état de nos muscles, la position de nos membres. Celles aussi provenant des viscères, notamment par le canal de l’insula, et les sensations de douleurs, que transmet notamment l’hypothalamus.
Enfin nous mémorisons des pensées et des émotions. Et l’unanimité des chercheurs reconnait que les souvenirs fortement émotionnels sont plus fortement ancrés dans notre mémoire et que, même si nous ne les rappelons pas souvent, ils sont moins vite oubliés.
Des personnes différentes ne mémoriseront pas le souvenir de la même façon. Au niveau des sensations une personne de préférence cérébrale « S », enregistrera plus de détails qu’une personne « G », qui par contre retiendra mieux des aspects plus abstraits du souvenir ou ses données Essen tiellesl. Une personne de préférence cérébrale V sera plus sensible à l’empathie, une personne « L » aux aspects logiques.
Quand nous nous remémorons le souvenir, nous faisons remonter les sensations, mais nous les accompagnons d’un récit intérieur (ou réel si nous parlons à quelqu’un), fait de mots.
Lorsque nous n’avons pas rappelé un souvenir pendant longtemps, les connexions entre neurones s’affaiblissent. Nous n’oublions pas la totalité du souvenir, mais les détails ou ce qui compte moins pour nous. Nous conservons préférentiellement les aspects émotionnels, au point que des personnes qui ont subi ou vu une agression, un accident, ou toute scène traumatisante, seront obsédées par ce souvenir et auront du mal à moins y penser.
Mais notre mémoire a des ratés : par exemple elle peut mélanger deux souvenirs et donc rendre l’une ou les deux parties inexactes. Elle peut rajouter à un souvenir des éléments faux passés ou présents. Elle peut enfin créer des souvenirs en empruntant des données à des documents, des lectures, des récits, des images vues à la télévision, au cinéma ou sur internet.
Un chercheur a dit que les souvenirs de notre mémoire étaient comparables aux documents des archéologues sur les dinosaures : ils sont assemblés à partir d’éléments réels trouvés sur le terrain, mais ensuite interprétés et transformés pour correspondre à des situations logiques et vraisem-blables; mais personne ne sait si c’est la réalité !Venons en aux souvenirs de notre enfance.
Les chercheurs disent tous qu’avant 3 ans nous n’avons pas de vrais souvenirs de notre enfance et très peu avant six ans.
Avant 3 ans cela tient au fait que la plupart des enfants ne maîtrisent pas assez le langage et donc le discours interne n’accompagne pas les sensations diverses.
Après 2 à 3 ans, les souvenirs sont en général simplistes : ce sont des lieux, des personnes, des images de groupes ou de scène courtes, mais il n’y a pas en général de souvenir global. Certains souvenirs de maltraitance peuvent avoir marqué l’enfant. Nous en reparlerons dans les prochains articles.
A partir de 6 à 7 ans l’enfant a acquis une certaine habileté dans la connaissance de la pensée d’autrui (la « théorie de l’esprit » chère aux psychologues), et une certaine indépendance vis à vis des adultes : il va à l’école et vit au milieu d’autres enfants. Il a donc des souvenirs beaucoup plus nombreux, certains émotionnels et donc il en gardera certains assez longtemps. L’accès presque systématique à la maternelle aujourd’hui, a peut être accéléré cette situation.Si je prends ma propre mémoire, alors que j’étais né à Pau et que je n’en suis parti définitivement que 15 ans après, j’ai passé, avec mes parents un an à Tours quand j’avais 3 ans et un an à Paris quand j’en avais 5. Je croyais avoir des souvenirs peu nombreux, mais précis, de ces deux époques, images notamment de l’endroit où nous habitions, souvenirs de promenades que je faisais avec mon grand père, de manèges ou de magasins où ma mère faisait des courses.
Je me suis aperçu par la suite que tous ces souvenirs étaient fabriqués, qu’il s’agissait de photos prises par mes parents, de récits de mes parents et grands-parents, voire même de quelques images vues bien plus tard, à la télévision ou lors de visites à Paris. Pour des raisons que j’ignore, certains détails étaient rajoutés. Je me souviens par exemple d’habits que je n’ai jamais eus.
Peut être ai-je quelques souvenirs des jouets que j’ai eus, mais je les ai conservés après 6 ans, même si je ne jouais plus avec eux.
Par contre après six ans, lorsque j’ai été à l’école, j’ai des souvenirs de mes professeurs et de mes camarades, de l’école et des lieux où j’habitais, de scènes de ma vie, surtout celles qui ont compté pour moi ou de mes parents et grands parents, frères et sœur.
Mais sont ils exacts ? A 6 ans je suis allé pendant un an dans une école , tenue par des religieuses à 100 mètres de chez moi et dont j’ai gardé certains souvenirs.
A la fin de l’année scolaire, j’avais bien travaillé et j’ai reçu, à la distribution de prix, un beau livre de contes. Je me revois ému, montant sur l’estrade, le recevoir des mains de la Mère Supérieure, qui a écrit un mot sur la première page blanche et qui m’a embrassé. Je revois encore la scène aujourd’hui.
Et quand j’avais 14 ans, j’ai retrouvé ce livre sur une armoire et j’ai dit à ma mère combien cela m’avait fait plaisir de recevoir ce prix. Elle m’a regardée très étonnée : « Mais tu n’ a pas pu aller à cette distribution des prix, tu étais au lit avec les oreillons ! ». Et c’était cela la vérité.Alors malheureusement méfions nous de la validité de nos souvenirs d’enfance (et de ceux d’après aussi), car s’ils ont un support vrai, ce n’est pas forcément celui de notre mémoire d’alors, et nos désirs, nos sentiments ont pu les altérer et les transformer.
De nombreux chercheurs ont fait de nombreuses expériences à ce sujet, ils ont réussi à faire intégrer de fausses données dans les souvenirs d’enfants et d’adultes et ils ont notamment constaté que ce que l’on avait envie d’avoir ou d’être influait sur notre mémorisation.
La police et la justice savent bien que la mémoire de témoins est sujette à caution, et cela plus le temps s’est écoulé entre le fait et la déposition. La plupart des erreurs judiciaires reconnues sont dues à des erreurs dans le témoignages, faits de bonne foi, mais erronés.
Quand la remémoration d’un souvenir peut avoir des conséquences importantes, soyons prudent et demandons nous quelle peut être la proportion de réalité exacte issue de notre mémoire, et ne prenons pas pour vrai tout ce que nous avons à l’esprit.
votre commentaire
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique