• "Faire son deuil" : la réalité est tout autre que la "norme"

                Perdre un être cher est toujours une épreuve. Quand on a partagé une vie commune pendant des dizaines d’années outre le chagrin, on ressent un grand vide.
              Les médias et certains psychologues parlent sans cesse d’un « travail de deuil » pour que s’atténue votre tristesse et l’opinion publique a fini par en faire une croyance.
             Yves-Alexandre Thalmann, professeur de psychologie au Collège Saint-Michel  et collaborateur scientifique а l'université de Fribourg, en Suisse, montre, dans le numéro d’octobre 2023 de la revue « Cerveau et Psycho », combien cette notion est inexacte et ne repose sur aucune étude psychologique.  

              C’est Sigmund Freud qui a évoqué le premier ce « travail de deuil » en 1917 et il en tirait, comme souvent, des conclusions hâtives.
              Dans les années 60, la psychiatre suisse Elisabeth Kübler-Ross a développé un modèle à étapes : la personne endeuillée passe par des phases successives : le déni (on n’arrive pas а y croire), la colère (on se révolte), l’espoir (on espère retrouver sa vie d’avant), la dépression (le chagrin fait perdre le goût а tout) et enfin l’acceptation qui permet d’aller de l’avant.
              L’ennui, c’est que ce modèle ne repose sur aucune étude psychologique car il a été développé à l’origine, pour décrire le vécu de malades, à qui l’on annonçait une issue fatale, et non pour des personnes confrontées au décès d’un proche.
             Pourtant des psychologues ou professionnels s’en sont servi pour aider leurs clients, en faisant attention qu’aucune étape ne soit négligée.

             La seule étude sérieuse est celle de George Bonanno, professeur de psychologie clinique à l’université de Columbia, qui montre  que le deuil n’est pas un travail à faire, pas plus qu’il n’est constitué d’étapes ordonnées à franchir. Le seul point commun chez les endeuillés, est une tristesse, plus ou moins intense, apparaissant par vagues successives.

               Ce chercheur a montré que les personnes avaient une multitude d’attitudes différentes devant le deuil et il a essayé de rapprocher le ressenti de personnes dans leur couple avant et après la mort du conjoint.
              Il a constaté que la qualité de la vie avant n’influait pas sur l’intensité de la douleur, car se produisait un mécanisme d’idéalisation de la personne défunte. Le deuil semble fonctionner comme une machine à embellir les souvenirs et idéaliser le disparu.
             Un déni n’allège pas la tristesse et vouloir que de la colère soit exprimée pour respecter le modèle, serait nuisible.
             Par contre, l’usage des souvenirs heureux, des bons moments vécus ensemble de la vie passée est un moyen de réconfort. Toutefois dans des deuils pathologiques, où la souffrance est à la fois, durable et handicapante, les souvenirs rappelés deviennent alors source de tristesse.

               Mais il ne s’agit pas pour autant de proscrire toutes les pensées négatives : il faut les accepter et les éprouver mais en essayant de limiter leurs excès et d’éviter qu’elles ne deviennent une obsession. On peut essayer pour cela de raisonner sur ces sentiments, les analyser et les ramener dans un contexte plus factuel et raisonnable.
            La seule chose de réaliste dans l’expression « faire son deuil », c’est que la tristesse et la douleur de l’absence ne passeront pas en un jour et mettront du temps à disparaître. Il faut apprendre à vivre différemment, à retrouver le goût de l’action, à se fixer à nouveau des objectifs, à accepter de retrouver le rire et les petites joies de la vie quotidienne.
           L’aide de la famille est souvent, pour cela, essentielle.

     

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