• Vivre avec son temps, il y a plus de 70 ans.

    Vivre avec son temps, il y a plus de 70 ans.

    "Il faut vivre avec son temps"
        “ Comment vit-on avec son temps ?”
        "Vivre avec", ce n'est pas "se laisser emprisonner dans !".


        Ces phrases me poursuivent et je me demande quelle a été mon attitude, quand j’étais ado il y a plus de 70 ans, et aujourd’hui, où mon âge (87) m’interdit (théoriquement) de lire Tintin.

        Etais je un “mouton “ quand j’étais ado. ? Etais je soumis à l’opinion de la majorité; avais je le souci du “politiquement correct ? Et même si je ne l’avais pas consciemment que faisais je réellement ?

        Il faut dire que “mon temps” était particulier : 39-45, il y avait la guerre, l’occupation allemende, la pénurie de tout  et le souci était d’arriver à manger à sa faim. On manquait de tout, même en province à Pau où j’habitais.
        1945, la libération, mais tout n’est pas revenu immédiatement, mais les américains ont amené des moyens matériels mais aussi des idées, des modes.
        1947, J’avais passé mon bac et je suis venu à Paris en prépa de maths des grandes écoles, et pendant 4 ans je n’ai pas eu le temps de faire grand chose d’autre que travailler, alors je ne suis pas un bon exemple.
        Je peux quand même essayer de penser à d’autres jeunes de mon temps.

        Par rapport à maintenant, il y avait une grande différence : très peu de communication : pas de télé, chaîne hi-fi, CD, DVD, pas d’ordinateur ou d’internet, pas de portable mais même pratiquement pas de téléphone fixe (seuls les riches et les professions libérales en avaient). Peu de radio, peu de magazines, quelques quotidiens et hebdomadaires, mais par contre beaucoup de livres.
        Pas de cinéma pendant la guerre. A partir de 46 on y retournait, films extraordinaires français en noir et blanc et les premiers films en technicolor américains.
        Alors que faisions nous : le travail de classe, beaucoup plus prenant qu’aujourd’hui car il y avait moins de tentations externes. Beaucoup de lecture. Beaucoup de sports. Des jeux de société et des discussions avec les copains.
        Les “boums” (les teufs d’aujourd’hui !), il n’y en avait pas pendant la guerre et ensuite assez peu par manque de place et de moyens finaciers. En principe pas d’alcool, et les cigarettes étant rationnées on ne fumait pas. La drogue était totalement inconnue.
        Coté “société de consommation” , il n’y avait pas de “marques” et comme on avait juste de quoi manger et se vêtir, gadget et habillement à la mode n’était pas notre souci du tout. Très peu de pub, et finalement seules les vitrines des magasins suscitaient notre envie.
        Le contexte était donc très différent d’aujourd’hui.

        D’où pouvaient venir les idées préconçues, le politiquement correct”, l’opinion de la majorité, l’incitation à être un mouton, et à l’inverse qu’est ce qui aurait pu exciter un peu notre originalité et notre pensée propre et autonome.?

        Des idées préconçues, consciemment nous n’en avions que peu, car sans médias, sans pub, sans gadgets et marques, sans société de consommation, les besoins ne se créaient pas facilement et nous n’avions guère de mode à laquelle céder.
        Tout de même la libération et les américains nous avaient apporté le jazz. et le goût revenu du cinéma, mais autant pour les films français qu’américains.
        Il y avait quelques 45 et 78 tours mais peu de “gramophones à manivelle” et quelques orchestres amateurs.
        Par contre des films formidables : Renoir, Carné, Guitry, Pagnol, Bunuel, Becker, Cocteau, Christian-Jacques et coté américain Hitchcock

        Alors d’où pouvaient venir nos "idées reçues", nos tabous, nos "à priori"?
       
        D’abord l’éducation par les parents était à l’époque rigoureuse.
        On apprenait d’une part à obéir et d’autre part des règles de savoir vivre et de politesse qui devenaient des habitudes
        Puis on nous inculquait des règles morales. Nous en discutions entre camarades et parmi eux des catholiques, juifs qui avaient fui la persécution nazie, athés et quelques musulmans et  ces règles étaient très voisines au plan général, basées sur trois principes : “respecter et aider les autres comme on aimerait être respecté et aidé soi-même”;  “sa propre liberté s’arrête là où commence celle du voisin”;  “ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse”.
        Mis à part quelques détails peu importants ces règles nous semblaient suffisamment naturelles pour qu’on se les approprie et donc elles devenaient ainsi partie de nous-mêmes, de notre “surmoi” quelles que soient nos croyances.
        Dans la mesure où nous les respections, nous n’avions pas à craindre le jugement d’autrui et donc l’opinion publique, comme celle de nos camarades, ne nous souciaient guère.
        Le seul gros souci était l’occupant et les contraintes qu’il imposait, car si on était pris à les enfreindre, c’était la prison, la déportation, voire la mort. Les parents qui étaient dans la résistance, le cachaient aux enfants, mais ceux-xi sont fouineurs et on avait compris que dans ce cas, la dissimulation et le mensonge (même vis à vis des amis), étaient autorisés et qu'il y avait dans le cas de légitime défense, des exceptions aux principes qu’on nous demandait de respecter.
        Dans ce climat hostile, la famille et l’amour qui y régnait avait une importance énorme.
        Nous avions donc beaucoup d’habitudes venant du consensus des générations précédentes, et elles étaient ancrées en nous de façon naturelle, comme se laver les mains avant de manger ou les dents matin et soir, mais, malgré cela, elles n’étaient pas moutonnières car raisonnées et acceptées comme une nécessité pour une vie harmonieuse en société.

        L’instruction à l’école étaient également contraignante : respect des professeurs, attention en classe, beaucoup de travail à la maison dès le CM1 et qui augmentait jusqu’au bac, de telle sorte qu’il n’y avait pas de gap à l’entrée à la fac. Par contre seuls 30% des élèves allaient jusqu’au bac, les autres se dirigeant vers l’enseignement technique ou pratique d’un métier, mais au lendemain de la guerre, le plein emploi était assuré et le chômage n’existait pas.
        Au plan des programmes de l’enseignement classique menant au bac, les “littéraires” apprenaient pas mal de maths et de physique (les lois essentielles de la science), les “scientifiques” faisaient beaucoup de français et de latin et ne négligeaient pas la philo. Nous faisions tous beaucoup de “sciences naturelles” (le SVT d’aujourd’hui). En outre nous avions du sport obligatoire.
        Les professeurs et les parents non seulement nous avaient donné l’habitude du travail, mais encore ils nous avaient donné le goût de l’étude : comprendre comment fonctionnait l’univers, connaître succinctement la pensée des auteurs qui nous précédaient et l’histoire des hommes célèbres.    
        L’enseignement jusqu’au bac était très systématique mais en même temps concret et sauf exception, nos profs étaient excellents. Ils arrivaient à nous intéresser et, bien qu’ayant eu un cursus essentiellement scientifique j’ai de bons souvenirs des récits latins sur la vie des Romains ou l’éruption du Vésuve, et de toutes les discussions littéraires et philosophiques.
        De plus une des occupations favorite était la lecture et les livres d’ados que l’on trouvaient, comprenaient de nombreux ouvrages soit d’inspiration technique et scientifique, bien que romancés (les Jules Vernes par exemple), soit écrits par de grands auteurs, un peu expurgés pour qu’ils soient plus courts (on enlevait les parties les moins intéressantes et quelques passages trop violents ou stressants). On lisait tous ainsi, comme une distraction, les romans de Rabelais, Balzac,, de Voltaire et Rousseau, de Chateaubriand, Stendhal, Hugo, Georges Sand, Mérimé, Flaubert , Zola ou Maupassant, des récits de La Bruyère ou Saint Simon, (et j’en oublie sûrement.). On consacrait donc plus de temps en classe, aux auteurs de théâtre et aux poètes, ou aux auteurs plus arides.
        Mais les professeurs avaient l’art de nous intéresser et par exemple notre professeur de français nous montrait comment Montesquieu dans “l’Esprit des Lois” (livre pas drôle du tout quand on a 12 ans !) était un précurseur de la démocratie moderne avec la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, ses idées sur la liberté et la laÏcité, et sur l’origine des lois culturelle ou géographique, et on l’écoutait, pris par le sujet.   
        Là encore on nous donnait un héritage du passé, mais en même temps on nous apprenait à l’analyser, donc à le discuter, à le relativiser.
        Certes c’était du passé, mais je pense que cet héritage ouvrait l’esprit et que c’était une aide pour par la suite, “vivre son temps” en étant mieux armé.
        Je n’ai jamais regretté mes années d’école.

        Reste l’influence des camarades et la “mentalité” de groupe qu’elle apporte. L’amitié et l’amour.
        La guerre nous vait appris une certaine solidarité que renforçait l’école et le sport. Les loisirs c’étaient aussi des balades dans la campagne, des jeux de société, et des discussions sur tous les sujets qui peuvent passer par la tête d’un ado. Il n’y avait pas de jalousie, d’envie de ce qu’avait le copain. On se prêtait nos bouquins, nos jeux.
        Bien que la vie quotidienne ne soit pas aisée, ses tracas ne nous pesaient guère. On n’avait pas d’état d’âme. Petits problèmes et soucis nous apparaissaient comme des handicaps normaux, qu’il nous appartenait de résoudre, et si un gros pépin se présentait (maladie ou la mort s-d’un proche) le soutien de la famille et des camarades était immédiat et efficace.
        Il y avait d’ailleurs dialogue entre ados, parents et grands parents, malgré des divergences de génération.
        Il n’y avait pas de psys, pas de médicaments psychotropes et les médecins ne s’occupaient que des vraies maladies mentales. Je n’ai jamais rencontré de jeune en dépression dans ma jeunesse, et la scarification était une chose inconnue et aurait été alors incomprise, comme une atteinte absurde à la santé.
       
        Je vous ai déjà parlé de l’amour il y a 70 ans.
        Beaucoup d’amis et on sortait tantôt avec les uns tantôt avec les autres. Pas de petit(e) ami(e).
        Les classes n’étaient pas mixtes et il y avait un “lycée de filles” et un “lycée de garçons” du CM1 à la terminale;
        Au lycée, on ne pensait pas à être amoureux, (les médias inexistantes ne nous y incitaient pas), et ceux à qui cela arrivait, étaient très discrets et, en l’absence de pilule et préservatifs, ne laissaient pas libre cours à leurs désirs.
        Aussi y avait il très peu de chagrins d’amour et la jalousie restait peu connue des ados.
        Même par la suite après le bac, le coup de foudre existait peu et le véritable amour était basé sur une connaissance et un respect mutuel.
        Il était rare que l’on vive ensemble avant de gagner sa vie, et le faire en dehors du mariage était mal vu, de même que le divorce.
        C’était sans doute le préjugé de société auquel on se soumettait le plus et qui n’était pas bénéfique, car il ne permettait pas de s’assurer avant de fonder une famille, que l’on avait assez de points communs pour pouvoir supporter une vie commune.
        L’autre préjugé lié d’ailleurs au dogme de stabilité du mariage, était que la femme s’occupait du foyer et n’avait pas d’activité professionnelle. Il y avait donc beaucoup moins de filles que de garçons dans l’enseignement supérieur et même dans le secondaire peu d’élèves et très peu de filles dans l’enseignement scientifique.
        A Pau, dont la commune comptait 25 000 habitants, il n’y avait plus de 1ére S et de terminale S au lycée de filles et une seule classe au lycée de garçons où nous étions 21 garçons et 8 filles seulement.. Pourtant le mythe selon lequel les filles n’ont pas la “bosse des maths” est parfaitement ridicule.
        Heureusement ces préjugés ont presque disparu. Mais les hommes sont restés presque aussi machos que de mon temps! LOL
        C’est cette différence homme - femme qui était sûrement le plus fort préjugé d’il y a 70 ans.

        Finalement, quand je revois ma jeunesse, je pense avoir pas mal de préjugés mais peu de tabous, je crois avoir étant jeune, “vécu avec mon temps”, mais sans étre “emprisonné” ni être “un mouton”, mais avoir reçu de mes parents et professeurs de nombreuses idées qui m'ont accompagnées toute ma vie.

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