• Nos souvenirs ne sont pas fiables (3)

         J'ai déjà fait deux articles à ce sujet les 18/07/2018 et 22/01/2020. Alors je vais reprendre ce sujet de façon différente.

    http://lancien.cowblog.fr/images/Cerveau1/images1.jpg    Nous avons tous peu de souvenirs de notre enfance, et nous avons même oublié la plupart des épisodes de notre vie. Mais certains d’entre eux restent gravés en notre mémoire  et nous constatons qu’ils correspondaient à des événements importants pour nous.
        La mémoire effectue une sorte de tri, conduisant à retenir les événements qui ont un sens dans notre parcours, et ce tri est, en grande partie, gouverné par l'émotion : les souvenirs agréables, ainsi que certains souvenirs plus traumatisants s'insèrent dans notre esprit parce qu'ils définissent une partie de notre existence : c'est un matériau imagé sur lequel notre esprit s'appuie pour construire Ie soi, ce que nous sommes, la façon dont nous nous voyons.

        Comment l'émotion stimule-t-elle ou atténue-t-elle les processus de mémorisation ?

        L'émotion influe sur le contenu du souvenir. Par rapport à des souvenirs d'événements neutres, les événements émotionnels (surtout les événements positifs) comportent davantage de détails sensoriels - (visuels, auditifs, olfactifs comme les vêtements, les coiffures, le parfum...) - , ceux liés au contexte (le lieu, la date) et même les paroles prononcées ainsi que les sentiments qui ont accompagné leur déroulement.
        Toutefois, il convient de préciser qu’il faut que l'événement positif soir lié à I'image de vous-même. Si vous vous souvenez d'une émotion positive liée à autrui, et qui n'apportait rien à votre personnalité, Ies détails ne seront pas plus nombreux que si vous n'aviez pas été ému.
        Des études menées notamment par Arnaud d’Argembeau dans les Universités de Liège et de Genève ont montré que ce phénomène se manifeste aussi pour l'anticipation d'événements à venir : on fait plus facilement appel à sa mémoire pour assembler les images d’un événement futur chargé d'une émotion positive et qui se rapporte à l’image de soi et avec plus de détails, que s'il s'agit d'un événement à connotation émotionnelle négative.ou d'imaginer des événements émotionnels futurs, concernant une autre personne.
        Nous ne sommes pas tous égaux face à la mémoire et à l'émotion. Les personnes qui  sont moins engagées émotionnellement et qui contrôlent leurs émotions se représentent mentalement les événements passés et futurs avec moins de détails sensoriels et contextuels.

        Nous avons vu dans l’article précédent que, lorsque nous vivons un événement, ce dernier entre d'abord en mémoire de façon provisoire (il est encodé), puis il est éventuellement consolidé, c'est-à-dire qu'il est stocké à moyen terme et ensuite consolidé à plus long terme., de sorte qu'il peut être rappelé ultérieurement, même si I'on n'y pense plus entre-temps. L'émotion agit sur l'étape de consolidation.
        A très court terme, les images émotionnelles ne sont pas mieux retenues que les images neutres, mais plus le temps passe, plus les images neutres sont oubliées, alors que les images émotionnelles restent en mémoire;
        Une conséquence assez particulière : nous mémorisons mieux des visages expressifs que des visages neutres, et nous mémorisons davantage des visages joyeux que des visages tristes ou en colère, du moins chez les personnes pour lesquelles c’est un signe positif vis à vis de leur propre image, alors que ce n’est pas vrai pour les anxieux sociaux, qui ont du mal à interpréter positivement tout signe d’autrui.
        Le problème de la consolidation à très long terme est plus difficile à expliquer. Certains chercheurs pensent que pour les souvenirs heureux,  nous y pensons de temps à autre.
        Il arrive qu'en se rappelant un événement marquant, surtout les premières fois, on se représente Ia scène avec son cortège d'émotions, de façon concrète en revoyant certains détails et en ayant l'impression de revire l'événement. Cette reconstitution ranime les souvenirs perceptifs de l'événement et cette “reviviscence” participe à la consolidation du souvenir, et relance le processus de consolidation, notamment pendant le sommeil profond.

        Pour les souvenirs traumatisants, le cerveau voudrait s’en débarrasser et les rappellerait pendant le sommeil, mais nos centres amygdaliens, qui contrôlent peur et stress, et qui se trouvent dans le circuit de Papez, dans lequel peuvent “tourner” nos émotions”, contribueraient à relancer alors ce souvenir et finalement le consolider autant qu’un événement heureux.. Mais dans ce cas un processus de défense pourrait intervenir, qui bloquerait l’information au niveau des centres de transmission vers le cortex frontal (thalamus, hippocampe, cortex temporal gauche), de telle sorte qu’elle ne pourrait être rappelée par le cortex frontal et resterait au niveau inconscient.
        Freud appelait cela un refoulement et lui donnait, à tort, une cause surtout sexuelle; les biologistes appellent cela un blocage, dû surtout au caractère traumatisant.

        Voyons maintenant comment évoluent nos souvenirs qui ont été consolidés.
        Ils sont sujets à une transformation et à l’oubli progressif.


        La plupart des jours de notre vie ne sont pas mémorisés comme souvenirs épisodiques ; en revanche, nous n'oublions pas ce qu'ils nous ont appris. Ainsi, les journées sur notre lieu de travail ne laisseront aucune trace dans notre mémoire épisodique, même si nous y apprenons des concepts, du savoir ou I'usage de certains savoir-faire.
        La mémoire épisodique ne s’intéresse qu’à ce qui concerne des moments importants de notre vie, pour notre moi.
       

        D’autre part, le processus de consolidation ne constitue pas un simple renforcement du souvenir, mais implique nécessairement sa modification. En effet, lorsque I'on se souvient d'un épisode, des mémoires perceptives sont réactivées, mais certaines le sont davantage que d'autres. Dès lors, le souvenir est “réécrit”
        L'événement est perçu dans une version où ces détails auront été rendus plus saillants. Les reviviscences conduisent à exagérer certains détails, et  de réécriture en réécriture, le souvenir finit par être un tableau dont vous aurez été l'artisan, souvent bien involontaire et inconscient, mais ce souvenir se sera éloigné de la réalité.

        Des facteurs externes contribuent à cette transformation.
        Nous avons des photographies de certains de nos souvenirs. Nous en parlons avec des personnes qui ont assisté à l’événement, mais qui le voient de leur point de vue. Ces images, ces faits, ces paroles se mélangent à ce que nous avons en mémoire. Certaines images appartenant à d’autres événements voisins peuvent se substituer aux images réelles.
        Nous vieillissons et notre mental, nos opinions évoluent, et nous voyons par exemple des événements de jeunesse avec un autre point de vue, et il est possible qu’alors nous les “réinscrivons” un peu différemment, surtout au plan des sentiments et émotions.
        J’ai même connu des personnes qui auraient voulu qu’un événement de leur vie soit encore plus heureux, plus parfait, plus complet. A force de se raconter cet événement mentalement, comme un souhait, elles ont fini par intégrer en partie ces souhaits dans leur souvenir comme s’ils étaient réels.
        A l’inverse d’autres personnes, par ressentiment, ont aussi intégré dans leur mémoire des fantasmes inexacts comme des faits qui aggravaient leur souffrance.

        Bref il ne faut pas croire, même si nous avons une bonne mémoire, que nos souvenirs autobiographiques soient rigoureusement vrais dans tous leurs détails. . Certaines parties ont été renforcées par rapport à d’autres, des morceaux ont été rajoutés par rapport à des documents externes se rapportant à l’événement, et plus grave, nous transformons les souvenirs, voire ajoutons des pans de souvenirs crées de toutes pièces.
        Bref nos souvenirs ressemblent à l’image que les paléontologues ont des dinosaures : le squelette est authentique, mais le chair que l’on met autour relève de constatations exactes, mais aussi d’extrapolations et de détails imaginés, voire des désirs et des souffrances qui nous habitent.


    http://lancien.cowblog.fr/images/Caricatures3/images-copie-4.jpghttp://lancien.cowblog.fr/images/Caricatures3/Unknown-copie-3.jpg

    Partager via Gmail

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :